Hier encore, j’étais un exilé de la vie, je n’y comprenais vraiment rien.
Je me rasais, et ma fille de quatre ans, derrière moi, se regardait depuis un moment dans un miroir mural. Je lui demandai ce qu’elle faisait et elle de me répondre: " j’ai des dents qui se bousculent, peut-être qu’elles vont tomber…" Pour la rassurer, j’auscultai sa bouche largement ouverte et déclarai que ses dents étaient très belles et très solides, qu’elle n’avait rien à craindre pur l’instant…
L’après-midi, invité au goûter de l’école primaire pour y faire quelques photos, j’ai assisté, derrière mon objectif, à un véritable défilé de bouches édentées et de regards fiers. J’ai appris par la suite qu’il manquait trois dents à l’une, six à Flavien, mais que la championne incontestée était Marion qui pouvait se vanter de la perte de huit quenottes; chiffre inégalé qui faisait d’elle une mystérieuse prêtresse, enviée et courtisée: une bientôt grande! Je venais de comprendre toute l’épaisseur de ma connerie: aucun ne souffrait de ce vide qui trouait leur sourire, tous en étaient fiers et désiraient même le voir s’agrandir plus encore pour être sûrs de ne plus appartenir à la basse engeance, celle des petits…
Alors, ce matin, j’ai constaté une vague bousculade dans la bouche impeccable de ma Lou…